"J’accepte ce droit qu’est la liberté d’exprimer à haute voix le fond de sa pensée. Mais, j’invite ceux et celles qui n’aiment pas ce que je fais, à utiliser leur liberté de choix pour sélectionner une autre victime à mépriser! "

« J’accepte ce droit qu’est la liberté d’exprimer à haute voix le fond de sa pensée. Mais, j’invite ceux et celles qui n’aiment pas ce que je fais, à utiliser leur liberté de choix pour sélectionner une autre victime à mépriser! « 

Par Josée Marquis – Tailleur trop étroit, je suis assise devant trois personnes sur la chaise la plus inconfortable de l’endroit. Je m’affiche vulnérable en partant. Ce n’est jamais évident de vivre une entrevue d’embauche. À la mi-vingtaine, fraîchement arrivée dans la Vieille Capitale, je vis une partie de mon avenir à ce moment-là. Je sens une petite goutte de sueur rouler le long de ma tempe et la question fatidique s’amène, comme un couperet ignoble qui oblige l’authentique artiste que je suis à répondre sans gâcher cette entrevue qui, jusqu’à maintenant, se déroulait relativement en ma faveur. Et je l’entends résonner au ralenti, comme si mon cerveau préférait prendre le temps d’analyser les différents angles sous lesquels je pourrais aborder la réponse…

— Acceptez-vous… la… critique?

Silence.

Non! Je la prends, je la roule en boule dans un sac et je la piétine à coups de talons hauts! Je la passe à la déchiqueteuse. Je la dilue dans un gallon d’arsenic. Je la chiffonne avant de la passer dans le broyeur de l’évier. Je l’avale et je la sens me brûler la trachée jusqu’à en perdre conscience! La critique? Je la hais, je lui crache au visage, je la vis comme un passage obligé. Alors, est-ce que je l’accepte?

Oui! Parce que je n’ai pas le choix. Malgré ce torrent d’émotions, toutes plus violentes les unes que les autres, généré par le regard hautain d’autrui sur mon dur labeur, je n’ai d’autres choix que d’abdiquer. La liberté d’expression est une essentielle composante de notre société moderne, renforcée par ces réseaux sociaux qui offrent une tribune à tout un chacun libre de critiquer, avec ou sans verbe, avec ou sans fautes.

Lorsque l’on me parle de critique constructive, je suis capable (avec un minime effort!) de tendre l’oreille sans entrer en mode défensive! Des critiques intelligentes et non condescendantes qui visent l’amélioration, la réussite commune, qui amènent un regard nouveau qui se distancie de l’émotivité qu’implique un travail artistique. Parce qu’il en est ainsi : un travail artistique vulnérabilise l’artiste qui s’y est donné. Lorsque l’on critique mes œuvres, mon travail, mes écrits… c’est de moi qu’il s’agit! Et non pas seulement d’un objet froid, sans émotion. Ma créativité est le reflet de ma sensibilité. Elle s’ouvre et se répand sur mon bureau. Mais elle se révèle et prend valeur aussi dans l’appréciation de l’autre. Mais si cet autre n’aime pas… qui suis-je donc? Sans talent, incompétente ou imposteur? Y a-t-il un médecin dans la salle?

Tout travail que je fais, qu’il soit issu de mes profondeurs les plus enfouies, qu’il ait nécessité que je m’écorche vive pour finalement m’échouer sur le clavier de mon portable, n’est pas une finalité en soi. Tout résultat, aussi parfait soit-il, s’expose au perfectionnement, à la minutie d’autrui ou à ces êtres qui ressentent une obligation innée d’intervenir sur tout ce qui leur est proposé. Les mêmes qui ont la main levée en classe pour contredire le professeur, les mêmes qui utilisent leur blogue pour vilipender les têtes de Turc de l’actualité, les mêmes qui s’invitent sur un fil de commentaires afin d’effectuer le décompte des fautes de frappe d’un article.

J’accepte ce droit qu’est la liberté d’exprimer à haute voix le fond de sa pensée. Mais, j’invite ceux et celles qui n’aiment pas ce que je fais, à utiliser leur liberté de choix pour sélectionner une autre victime à mépriser!

— Alors, madame Marquis, allez-vous finir par répondre à la question?