Par Guy Langlois – Paris, c’est cliché. Paris n’a pas choisi d’être clichée. Ce sont les touristes, leurs demandes bizarres, leur désir de voir ce qui n’est pas là, parce qu’ils l’exigent, parce qu’ils ont payé leur billet d’avion et leur guide plié et replié et leur sac-banane et ils sont en droit de vouloir manger ceci et de prendre en photo cela parce qu’ils ont entendu qu’à Paris, il y avait ça quelque part, et maintenant qu’ils ont un pied au sol, ils sont maîtres de ce que Paris se doit d’être.

Elle n’est pas seule dans sa situation. Toutes les grandes villes du monde sont exaspérées par les touristes.

En Chine, certains étrangers sont si rebutés par la cuisine locale, pourtant délicieuse, qu’on ouvre des restaurants à Pékin à l’image des horreurs de l’Occident. Des tables où l’on sert des mets aux antipodes de la cuisine asiatique authentique, juste pour contenter le touriste. Il retourne chez lui, le ventre rond, et s’exclame avec vigueur sur ce qu’il a mangé de… typique… dans son voyage.

Comme ces Américains qui viennent ici, sur St-Jean, dans le Vieux-Québec, entourés d’établissements réputés pour se gâter la gueule. Les files les plus longues? Le McDonald’s.

Il y a un certain confort à être imbécile. À payer son billet d’avion, son guide plié et replié et son sac-banane pour vivre la culture de son propre pays ailleurs. 1 000 $ pour dire : « Ce n’est pas comme chez nous », et demander à son hôte de changer en conséquence.

Paris, c’est cliché. Avec ses accordéons, ses baguettes, ses bouteilles de vin plus-que-buvables-à-3 Euros (alors que moi, je paye 15 dollars pour de la merde), son French cancan, ses seins nus, ses couples qui s’embrassent à tout vent, sa tour Eiffel, ses campagnes champêtres où on s’engueule autour d’un repas copieux et où on oublie tout avec une bise et une petite pétanque. Tout cela sonne faux. C’est faux comme une carte postale passée au Photoshop. C’est trop. Ce n’est pas ça. C’est le Paris des films, des fictions, des touristes qui rapportent et qui déforment tout. Les gens travaillent à Paris. Ils sont fatigués, ils marchent vite. Ils n’ont pas tous la cigarette désinvolte au bec. Elle est souvent nerveuse, rapide, comme vous, entre deux réunions. J’en connais même qui détestent le vin. Tout le monde n’a pas envie que vous rentriez chez eux à l’improviste pour une bouillabaisse. Ça se fait pas, rentrer chez les gens comme ça. Jacques Brel avait horreur des flonflons, des valses musettes et de l’accordéon. Il était peut-être Belge, mais il avait certainement son mot à dire. Et ce mot était de raison. Paris, dessiné par les touristes, c’est pas ça. C’est une ville avec de beaux immeubles, des fêtes arrosées, des bons hommes et des connards. Comme quoi?

Comme toutes les autres villes du monde. Ah oui, la saveur locale, elle existe. Mais qu’y a-t-il de vraiment réel, au fond…

Paris, c’est cliché. C’est le Moulin Rouge. C’est l’accent en cul-de-poule. C’est les vieux messieurs avec des bérets qui sentent fort. C’est des « agne » et des « égne » sur chaque fin de phrase quand on se déplace vers le Sud. C’est les croissants. C’est l’admiration inexplicable pour le Québec. Vous savez quoi? On n’est pas mieux.

Le Québec, c’est cliché.

C’est les traîneaux à chien, les Amérindiens, la neige, le sirop d’érable et le rocher Percé. C’est les éclats de rire quand on dit qu’on a une région qui s’appelle l’Abitibi. Paraît que c’est des drôles de syllabes.

Paris, c’est cliché.

Oui.

Paris, c’est cliché.

C’était cliché hier, et ce devrait être cliché aujourd’hui. Mais voilà.

Aujourd’hui, Paris, ce n’est plus cliché.

C’est des mitraillettes dans les métros. C’est des terrasses vides. C’est de la peur. Peur de l’autre, peur de la couleur. C’est la haine. Haine de ce qui pourrait se passer demain, comme si c’était une certitude, par la faute de l’inconnu. C’est l’un des plus grands bassins culturels, historiques et festifs du monde, réduit à de la poussière, des cris et des sirènes de police. Paris, c’est la guerre.

Des gens importants, dans les hautes sphères importantes du gouvernement, ont apposé des noms à cette guerre. Des noms arabes. Ils ont montré des photos. Ils ont enclavé le pays, fermant les frontières, emprisonnant les habitants dans une cellule autant géographique que morale. Comme un incubateur, là où il fait chaud, là où peut se développer le pire.

Paris, c’était cliché.

La semaine dernière, des gens ont volé ce cliché. Ils sont partis au pas de course, arme à la main, avec ce cliché. Ils ont fait en sorte que plus personne ne le revoit, jamais. Ils sont partis avec les baisers, les musiques, les engueulades qui finissent en pétanque.

Dans leur fuite, cependant, quelque part, ils l’ont laissé tomber. Trop pressés pour le ramasser, ils ont laissé le cliché là, sur la rue, dans le restaurant, dans le cœur.

Il suffit de le retrouver, et de lui passer un coup de brosse.

Paris en carte postale est toujours là. Salie, mais intacte.

Allez-y, traitez-moi d’irréaliste.

Paris, clichée, je veux la revoir. Avec toutes ses couleurs trop dessinées. Moi, petit Nord-Américain. Imaginez, si je le veux, comment le monde entier ne désire que cela.

Amis Français, de toute origine : après avoir épousseté les quelques débris, appelez-moi. On ira se prendre un p’tit coup d’rouge.