En relation avec : mon écran (mais, c’est compliqué)

Une couple d’années plus tard, l’ordi est monté dans le salon. Ça n’a plus été pareil. Et là, tout le monde avait un ordi. Probablement que j’étais hipster avant le temps. Tant que c’était pas connu, c’était cool.

Par Guy Langlois – Je suis un gros Y. Je suis nostalgique de Canal Famille, des culottes Adidas, des Spice Girls et des Discman qui sautaient quand tu courais. En 1995, année de mon entrée en maternelle, j’avais le kit Mickey Mouse au complet. Casquette, sac à dos, sac-banane, et même ma première boule de quilles rouge de 6 livres (je ne jouais pas au hockey, je jouais aux quilles. Mais ça, vous le saviez.) avaient la face de Mickey Mouse imprimée dessus. Notre classe du matin avait été divisée en 4 sous-groupes : Nala, Simba, Zazu et Rafiki. On était dans le peak de popularité du Roi Lion. Je voulais être dans le groupe de Zazu. On m’a foutu dans Simba. Teeeeellement conformiste.

L’ordinateur est entré chez moi en 1997. On était avant-gardiste : on devait être huit, tout au plus, dans ma classe de 2e année, à avoir un ordi. Les autres devaient utiliser les vieilleries roulant sous DOS dans le local d’informatique. Des grosses boîtes beiges qui faisaient du bruit. Ma boîte à moi était un peu moins beige : c’était un Pentium 166 MMX. Une machine. Je passais des soirées à regarder mon père essayer de comprendre comment ça marchait. Il découvrait des choses que je n’avais jamais vues. Il jouait à des jeux qui me sidéraient. Alors que j’avais encore que d’yeux pour ma Super Nintendo, papa jouait à Tomb Raider. Heille. Tomb Raider. En 3D pis toute. Il m’a montré Myst. C’était trop difficile, y avait plein de casse-têtes à résoudre, mais c’était si beau à voir. Et l’ambiance de ce jeu-là… tellement… bizarre… limite épeurante. J’avais un jeu des Schtroumpfs, un mini-golf et un Adi. C’était le grand frère d’Adibou. C’était pour les plus vieux. J’étais trop évolué pour mon âge.

Un jour, mon père a acheté un micro. Ce qu’il a fait avec ce micro-là, je m’en souviendrai toujours : il a parlé à quelqu’un d’autre, dans une autre ville. Le téléphone pouvait faire ça, c’est sûr. Mais je vous rappelle que dans nos têtes, Internet, nouvellement arrivé, servait à chercher des blagues de tetons sur la Toile du Québec, pis on avait pas mal fait le tour. Mon père et moi, on a parlé à deux gars de Drummondville, je m’en souviens, avec un programme qui ressemblait à Skype, mais avant son temps. Des inconnus. Ils m’ont demandé si j’aimais jouer aux échecs. Je leur ai dit que je savais pas jouer. Ç’a été ça. Je capotais.

J’avais le droit d’aller sur certains sites. J’avais mon préféré : Le Prince et moi. Une genre de communauté d’enfants dans un château avec un prince qui te faisait faire plein d’activités. Du coloriage, des énigmes… y avait même un bateau où tu pouvais avoir ta propre cabine et visiter celle des autres. Sophie, 7 ans de Forestville était peut-être Michel, 48 ans de Rawdon, mais pis. On le savait pas, ça.

L’envie de voir des tous-nus ne m’avait pas encore prise. Même quand j’ai su qu’on pouvait voir des tous-nus sur l’ordi, je n’osais pas y aller. J’étais tellement sage, enfant. J’aurais eu ben trop peur de me faire prendre. Je me souviens avoir tapé sex.com, une fois, avec ma meilleure amie à mes côtés. Je ne me souviens plus de ce que j’ai vu. Le site ne devait pas être accessible. De toute façon, on était déjà dans l’illégalité à aller voir le site de South Park. On n’avait pas le droit, à l’école, d’aller voir le site de South Park. Chez nous, oui, on s’en foutait, mais pas à l’école. On le faisait pareil. So badass.

Mon père était subjugué de voir la vitesse avec laquelle j’apprenais à me servir de cette machine-là. Il s’est bientôt rendu à l’évidence que je l’avais surpassé en la matière. Je cliquais, naviguais, découvrais. Le monde à la vitesse 56K était à moi. Notre forfait nous permettait deux heures d’Internet par jour. Je l’utilisais à plein régime. Quand le temps était écoulé, j’allais me rabattre sur mes jeux. Et le soir, j’arrêtais tout.

J’avais peur.

L’ordi était dans le sous-sol. Le sous-sol, c’est la meilleure place au monde quand t’es enfant. Quand la lumière est allumée. Quand tu la fermes, c’est le repère des monstres et des pédophiles. J’ai monté les escaliers plus vite qu’Usain Bolt jusqu’à l’âge de 12 ans.

L’écran bleu de Windows me terrifiait. Le Blue Screen of Death. J’étais persuadé qu’une grosse face laitte apparaîtrait dans l’écran chaque fois que l’ordi aurait un bogue, alors que j’étais seul, dans une pièce fermée, dans le sous-sol… et qu’elle allait me pourchasser dans les escaliers.

Le soir, je laissais mon père découvrir ce que j’avais déjà découvert. Mais j’aimais le regarder. S’il faisait une fausse manœuvre et qu’une grosse face laitte apparaissait, au moins, il était là.

Une couple d’années plus tard, l’ordi est monté dans le salon. Ça n’a plus été pareil. Et là, tout le monde avait un ordi. Probablement que j’étais hipster avant le temps. Tant que c’était pas connu, c’était cool.

Je ne suis pas tombé dans le virtuel dès ma venue au monde comme les enfants d’aujourd’hui. Ç’aura pris quelques années, du moins. Avant d’entrer en maternelle, où on avait deux ordis à grosses disquettes qui présentaient des jeux éducatifs, et dont on n’avait pas le droit de se servir sans la grosse prof de toute façon, je n’avais pas la notion du mot « informatique ». Mes amis n’avaient pas d’ordis. On avait un Tamagotchi pis un Game Boy. En plus, là-dessus, j’étais tellement cool, j’avais la visière qui venait séparément pour grossir l’écran et lui faire de la lumière. Je jouais au Game Boy en frais chié.

Je ne suis pas tombé dans le virtuel dès ma venue au monde, mais dès qu’on a fait connaissance, l’ordi et moi, on ne s’est plus jamais quittés. Et c’est pour le mieux. Je vois les technologies comme des outils extraordinaires de communication et d’enseignement.

Bien sûr, comme plusieurs jeunes adultes à la page comme moi, j’ai un peu le FOMO, le Fear of Missing Out, une maladie contemporaine qui consiste à avoir peur de manquer quelque chose sur les réseaux sociaux. J’assume. De toute façon, ce n’est pas principalement pour les réseaux sociaux que j’utilise mes appareils, alors ça va. Dans le couple que je forme avec les technologies, tout doit se faire dans le respect et le plaisir. C’est quand on perd le contrôle ou que l’on comprend mal les enjeux que la peur et le dédain s’installent. La télé et l’ordinateur, comme n’importe quoi, sont abrutissants, quand on ne sait pas comment s’en servir. Mais quand on apprend à utiliser les ressources infinies, à les classer, les décoder et les critiquer, pour s’instruire et devenir des êtres plus intelligents, on a en main un pouvoir incroyable.

Mais je n’ai toujours pas de cellulaire.

Ben oui. Je suis plein de contradictions.

Je voulais parler des publicités qui m’ont influencé quand j’étais enfant, avec cette chronique. J’ai divagué vers un élan d’amour à l’ordinateur. Ça sera pour la prochaine. Ben oui. Pas capable d’être attentif à un seul sujet.

Je suis un gros Y, après tout.