Par Guy Langlois
Je suis un tas d’obsession. J’ai des TOC, des manies, je me mange les doigts, j’ai essayé d’arrêter, ça n’a jamais marché. Je réorganise des objets quand ils ne sont pas symétriques. Si je veux baisser le son de la télé à 23, je dois l’amener à 22 avant de le monter d’une coche.
Je n’ai pas le syndrome de la lumière éteinte, ouverte, éteinte, ouverte, ni des craques dans le plancher. Mais pas loin. Je ne suis pas confirmé bon pour l’institut psychiatrique, mais j’ai reçu une invitation pour les portes ouvertes.
Et l’une des mes manies préférées est le classement de ma bibliothèque musicale.
Je regarde avec horreur les listes de lecture de gens que je connais (et que je devrais supprimer de ma vie) qui sont remplies de « Track 3 » sans album, et j’ai un goût surette de vomi qui remonte devant « cranberries », « Cranberries », « The Cranberries » et « Cranberries, The » dans une même fenêtre.
GET IT TOGETHER BÂTARD!
Ça me fait frissonner comme des ongles sur un tableau. Ou pour utiliser une analogie moins clichée, comme entendre parler un participant de Célibataire et nu. Comment fais-tu pour te retrouver dans ta mare non classée, ta forêt amazonienne mélodieuse, ton océan de déchets musicaux qui flottent n’importe comment? Tu PENSES que c’est juste une liste de lecture et que c’est pas si important. Tu PENSES ça. Mais c’est pas juste une liste de lecture, c’est la représentation de ton âme et ce qui la compose. Et là, LÀ, tu me démontres que ton âme est plus confuse qu’un discours de Trump. Qu’est-ce que tu cherches à gagner avec cette affirmation? Que t’es au-dessus de tout? Que ta vie est tellement chill? Tu veux montrer que t’es trop occupé à prendre des photos Instagram de toi en train de faire du hiking avec trois lattés à la citrouille din’ mains (so fitness, much health) pour classer tes albums de Nirvana comme du monde? HEILLE. Y’a des enfants qui meurent de faim en Afrique mais qui prennent quand même le temps de ranger leurs bongos en ordre de grosseur. Pis toi, petit nord-américain qui en a trop, t’as 17 chansons « Untitled 19-01-2010 11:32 » qui parasitent ta playlist comme des cancers pis t’en es fier?
- Moi, je me sens pas bien, je vais aller prendre de l’air.
T’as été invectivé, réfléchis à ça. Mais y’a une chose sur laquelle je vais être clément. Parce que je ne le fais pas moi-même. Et parce que je ne comprends pas pourquoi, en 2017, même pour quelqu’un qui classe maladivement sa playlist, on le ferait. J’attire ton attention sur la colonne Genre.
On ne classe plus les gens en genres. On peut être ce qu’on veut, aujourd’hui. On peut être un homme, une femme, un homme-femme, rien de ça, ou un pigeon. Pis c’est correct. Arrive sur Terre bonhomme (ou bonnefemme, ou bonhomme-femme) : en 2017, pour les gens comme pour la musique, plus personne ne classe ça en genre.
J’ai de la dance-pop avec une fille qui chante de l’opéra. J’ai du Nu metal mélangé avec du hip-hop. De la « world » music!? Qu’essé ça!? N’importe quoi qui chante pas en anglais? Ah pis, du flametal, ça existe. C’est du métal avec du flamenco. Tu le savais pas, ast’heure tu le sais, pis tu vas aller en chercher.
Ce n’est plus possible de classer les genres musicaux, et encore, ce n’est pas convenable de le faire. Si j’en faisais, de la musique, je ne voudrais pas qu’on classe mon style. Probablement que j’en aurais 15 sur un même album. Ça me fait rire : tu penses vraiment que tu peux inscrire le même genre pour toutes les tounes d’un même album? Si tu fais du rock, pis sur une toune, t’ajoutes du bouzouki, ça marche plus. Tu ne fais plus du rock, tu fais du world rock. Pis vu que world, ça veut fudging rien dire, on va écrire que tu fais du « rock à sonorité exotique » pour une toune. T’sé, tant qu’à dire des niaiseries…
As-tu déjà tapé « Liste des genres musicaux » sur Wikipédia? Check ça et pleure.
Un jour, j’en suis venu à la raison, et j’ai supprimé l’entièreté de la colonne Genre. J’avais auparavant passé des heures cumulées à trouver le style spécifique de chaque chanson. Un soir où j’ai voulu taper « folk rock médiéval norvégien », je me suis regardé dans le miroir, et je me suis détesté. Je ne reconnaissais plus l’homme que j’étais devenu. J’ai craché dans mon reflet, je suis retourné à mon ordinateur, et dans un élan de rage, probablement avec le O fortuna en arrière-plan, j’ai détruit la colonne Genre. J’ai vu disparaître d’un trait sec les 148 genres avec lesquels j’avais classé ma bibliothèque musicale.
Et depuis ce jour, j’ai enfin compris ce que ça voulait dire, se respecter.
Se respecter, et respecter l’éventail innommable de sons qu’est devenue la musique.
Et cela est juste et bon.
*Gorgée de thé*
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